Chris Huby,

photographe invité aux Nuits Photographiques de Pierrevert 2020

Exposition : Mad Syria

Il m’est toujours très difficile d’expliquer pourquoi je photographie tel ou tel sujet. Werner Herzog, qui est quelqu’un que j’admire profondément, répondait à cette interrogation classique par un simple « parce que j’en ai envie… ». J’avoue que je ne saurais dire mieux, en toute honnêteté. Ça m’est d’autant plus délicat que je n’aime pas vraiment m’exposer, je préfère que les photos parlent d’elle-même en général.

Pourtant il y a bien des raisons. On sait que l’envie provient d’une éducation, d’une façon de voir qui vous est inculquée, d’un état d’esprit qui se construit avec les expériences de la vie. La mienne tournerait donc autour du cinéma, de la littérature et du voyage. J’ai grandi dans une ambiance cinéphile grâce à mes parents, et mon œil s’est fait de la sorte. Kubrick, Kurosawa, Lean, Leone, mais aussi Roeg ou Tarkovski, sont mes grands inspirateurs et j’y reviens toujours.

Je cherche ainsi à construire des images qui aillent chercher les émotions enfouies. Je tends souvent à replacer l’individu dans son environnement, puisqu’à force de voyages je me rends compte de plus en plus que la question de l’espace est primordiale. Je suis également souvent allé au musée pour découvrir ceux qui ont inspiré mes cinéastes fétiches : Turner, Constable, Friedrich, Courbet, Monet, pour ne citer que ceux qui me viennent en tête. Je pense qu’avec les années, les peintres romantiques prennent le dessus dans mon ressenti. J’y vois un intérêt personnel grandissant pour la nature, sans doute est-ce dû à mes jeunes années passées dans des pays où celle-ci était reine.

Mes lectures m’ont donné le sens du voyage. Kessel m’a par exemple donné l’envie de partir en Birmanie, Malraux au Cambodge, Chatwin en Amérique Latine, et ainsi de suite. Conrad, à mes yeux le plus grand des écrivains voyageurs, donnait une dimension infinie au secret dans ses romans et c’est quelque chose qui m’a sans doute porté pendant longtemps. Je ne cesse de vouloir comprendre et montrer les choses qui ne sont pas révélées, ce qu’il y a de caché et ce qui est enterré dans le cœur des hommes. A ce titre, je me suis transformé, je dirais presque malgré moi, en photoreporter et en documentariste, des métiers qui sont évidemment parmi les meilleurs supports pour aller à la découverte de l’autre. Aussi, l’appréhension de l’humain est devenue un exercice à part entière, presque anthropologique.

Je ne pouvais que visiter la Syrie, tant vantée par les voyageurs un peu curieux et les amateurs de mystères. Je m’y suis rendu une première fois en 2007. Je me suis passionné pour ce pays à la fois bouillant et d’une richesse humaine toute particulière. Lorsque le conflit éclate en 2011, c’est donc à titre personnel que je m’y rends. J’y ai des amis et certains ont déjà disparus. Les mois passent et une guerre éclate, extrêmement violente. Je continue dès lors à documenter, aussi bien en presse qu’en télévision, cette histoire qui dure depuis. A mon grand désarroi et avec la déception d’une Révolution manquée qui finit dans un bain de sang. J’essaie d’y retourner le plus souvent possible, avec toute la prudence possible. J’aimerais ramener un plus grand travail, mais il n’est pas aisé d’y travailler, les accès deviennent impossibles avec le temps, les médias sont visés et coincés dans leurs démarches.

Avec cette première exposition rétrospective de presque 10 ans de l’une des pires guerres de l’histoire, j’essaie de ramener une impression diversifiée, à la fois difficile et tendre, un mélange de tout ce que j’ai vécu en Syrie, entre l’horreur et la douceur inhérente à ce petit territoire victime de ses passions. J’ai trié plus de 30 000 photos et tous les souvenirs enfouis sont remontés.

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