Béatrice Augier
Artiste invitée de l’édition 2017
« J’ai choisi de vivre à Deauville, il y a maintenant presque 20 ans, mais c’est beaucoup plus récemment que mon lien avec la plage a pris toute sa force. Il fallait avoir du temps, ce luxe suprême, pour la connaître au fil des heures et des saisons. Il fallait s’y promener les pieds dans le sable, au bord de l’eau parfois glacée, et ne pas simplement l’observer à distance depuis les planches.
Il fallait se lever tôt pour profiter des petits matins quand seuls les chevaux attendent le jour. Il fallait rater des apéros pour guetter les derniers rayons du soleil se miroitant dans quelques flaques à marée basse. Les photos sont arrivées à cause d’Instagram, que j’ai voulu m’approprier pour ne pas rester en marge de la marche du monde. Puis, tout doucement, l’addiction s’est installée.
Aujourd’hui, c’est ma plage. J’y ai fait des milliers de clichés, que je partage souvent avec bonheur, et les jours où je ne peux pas aller m’y promener, j’ai le sentiment d’avoir raté quelque chose. C’est quand elle est vide que je la préfère. Mais quand les parasols arrivent, annonçant l’été, j’aime aussi cette nouvelle façon de la vivre. Elle devient moins mélancolique, elle me paraît moins immense et plus chatoyante, et c’est surtout le moment où il faut accepter de la partager. C’est en observant ces visiteurs de l’été, présents pour quelques jours, pour un week-end et bien souvent seulement pour quelques heures que j’ai eu envie de raconter en images ces incroyables moments de vie, qui n’existent que pendant ces chaudes journées du mois d’août.
Depuis que je la fréquente, je pense que la dimension de cette plage favorise une sensation que j’adore, synonyme de liberté, ce sentiment océanique d’anonymat. Hors des zones de parasols qui sont un autre monde, on étale sa serviette au milieu d’une multitude de gens avec la certitude de ne pas être l’objet d’un regard, voire d’un jugement. Comment ne pas s’étonner de voir, dans une société si dépendante de l’image, à quel point tous, hommes et femmes, sur la plage, sont capables de s’abandonner, comme dans un rapport retrouvé avec eux-mêmes. Et puis, bien sûr, il y a aussi cette grande joie de vivre, et ce plaisir que je sens presque palpable, dès que les gens arrivent au bord des planches, enlèvent leurs chaussures et que leurs pieds touchent le sable chaud et fin.
Cette magnifique plage est très grande, très célèbre, mais elle est aussi la plus proche de Paris. Alors les gens viennent de partout, apportant avec eux leurs couleurs, celles de leurs parasols bariolés, de leur peau ou de leurs tenues de plages. Bien sûr, ils ne ressemblent pas tous aux personnages des cartes postales des années 1920 ou même 1970, mais n’en déplaise aux nostalgiques, ils sont le reflet du monde dans lequel nous vivons aujourd’hui.
J’ai été très étonnée par la façon dont les gens lâchent prise. J’ai été fascinée par cette vie qui s’organise en une sorte de camp de base, (et cette remarque est vraie pour tous les types de population) dans lequel on retrouve, en vrac, des parasols, des poussettes, des fauteuils, des jeux, des bouées surdimensionnées, des glacières, des bateaux autour desquels tout le monde vient se coller, caler, protéger…
J’ai été bouleversée par ces familles de Srilankais, en habits, qui ne savent pas nager, qui se tiennent par la main, avec de l’eau jusqu’aux genoux et qui restent des heures durant à regarder la mer avec fascination. J’ai surtout été impressionnée par la joie de vivre, si spectaculaire, qui se libère, comme une énergie longtemps contenue, les jours de grande chaleur. Tout le monde s’est rapproché de la mer, tout le monde joue, plonge, nage, crie, rit, partage avec la même volupté ce plaisir universel de la plage, dans un incroyable mélange d’origines, de langues, de statut social, de cultures, qui à ce moment-là et dans ce lieu-là, s’impose alors comme une évidence.
C’est un monde qui me touche et que depuis plusieurs années, j’observe avec passion et je crois, pas mal de bienveillance. J’ai eu envie de le raconter, sans porter de jugement, et à travers mes photos, de témoigner de la beauté de certains de ces instants.
Mon seul regret, c’est que l’été soit trop court, ce qui donne à mes dimanches ensoleillés du mois d’août, un sentiment d’urgence avec la peur de rater une belle image. Ce sont aussi des journées qui ont donné une grande claque à mon intolérance assez naturelle et qui me donnent sans doute l’impression de gagner un peu en humanité. »
Béatrice Augier